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Hydrogéologie : la science des eaux souterraines au service de la surveillance

La surveillance de l’environnement autour de ses activités est une mission clé de l’Andra. Mais pour pouvoir évaluer l’impact d’un centre sur son environnement, encore faut-il savoir ce qui se passe… en dessous ! C’est tout l’objet du modèle hydrogéologique du Centre de stockage de la Manche (CSM), mis à jour dans le cadre du dossier de réexamen de sûreté du site et en cours d’instruction par l’ASN et l’IRSN. Le point sur ce maillon indispensable de la surveillance du CSM.

Le Centre de stockage de la Manche (CSM) est aujourd’hui fermé et fait l’objet d’une surveillance afin d’évaluer et de limiter son impact sur l’homme et la nature. L’hydrogéologie, ou science des eaux souterraines, est dans ce cadre une expertise importante à l’Andra, car elle permet de comprendre les phénomènes observés, de prévoir leur évolution dans le temps et de détecter d’éventuels écarts.

Hydrogéologue à la direction de la recherche et du développement de l’Andra, Sandra Jenni travaille sur la modélisation et la simulation numériques des écoulements des eaux souterraines qui vont compléter les connaissances issues de la surveillance des sites. « Notre travail consiste à comprendre et interpréter les données récoltées et à les utiliser pour construire des modèles, dont entre autres des modèles des écoulements des eaux souterraines et de la migration des radioéléments dans l’eau. »

 

Récolter des données

Pour observer ce qui se passe sous le CSM, l’Andra dispose d’une soixantaine de piézomètres, forages installés tout autour du centre de stockage et dans ses alentours. Certains sont communs avec l’usine Orano de La Hague, qui jouxte le site. Ces piézomètres donnent de nombreux renseignements sur les eaux souterraines : niveau de la nappe phréatique, direction des écoulements et temps de transfert des éléments dissous dans l’eau.

Des prélèvements permettent également d’obtenir des informations sur la qualité des eaux (mesures radiologiques, paramètres physico-chimiques : pH, température, présence de nitrates, de fer…). Autant de mesures réalisées mensuellement et dont certaines viennent nourrir le modèle hydrogéologique du centre. « On mesure aussi les précipitations à l’aide de pluviomètres, car elles ont un impact direct sur le niveau de la nappe souterraine, précise Sandra Jenni. Ces variations saisonnières du niveau de la nappe jouent sur la répartition des écoulements souterrains issus du centre entre les ruisseaux de la Sainte-Hélène et du Grand Bel. La nappe est de plus influencée localement par les pompages de l’usine Orano La Hague. L’ensemble de ces phénomènes se traduit par un système de circulation des eaux souterraines particulièrement complexe. »

 

Les apports de la modélisation numérique

« Grâce aux données de la surveillance, nous obtenons des mesures en des points précis. Cela nous donne par exemple des informations sur le niveau de la nappe à l’emplacement de chacun des piézomètres, mais ne nous indique pas ce qui se passe entre deux piézomètres. La modélisation permet d’accéder à une meilleure spatialisation des phénomènes », explique Sandra Jenni. « Grâce à la modélisation, on sait aussi quels radioéléments migreront en très faible quantité dans les 50, 100, 200, 300 prochaines années et combien de temps il leur faudra pour atteindre la nappe, puis se retrouver dans des ruisseaux environnants. Cela concerne notamment le tritium (cf. encadré), mais aussi d’autres radioéléments. On peut ainsi s’assurer que ce que l’on observe sur place, notamment dans les ruisseaux autour du centre, est normal et détecter quand une situation ne l’est pas. »

La modélisation permet aussi de répondre aux questions sur des situations hypothétiques qui pourraient modifier le comportement du CSM dans le futur. Par exemple, que se passe-t-il si l’usine Orano La Hague arrête de prélever l’eau dans la nappe ? Ou encore si un parking est construit sur une zone auparavant recouverte de pelouse, limitant l’infiltration de l’eau de pluie dans le sol à cet endroit… Le CSM étant implanté dans une zone très industrialisée, il est important de prendre en compte l’influence des activités humaines autour du site pour comprendre ce qui se passe dans le sous-sol.

 

Un processus d’amélioration continue

Lors de la création du CSM, le milieu géologique a été étudié avec les technologies de l’époque, qui
ne permettaient pas l’élaboration de modèles hydrogéologiques tels que nous les connaissons aujourd’hui.
À partir des années 1990, avec le développement des outils numériques, ce modèle a pu être réalisé puis affiné afin notamment de conduire les évaluations de sûreté. Il est régulièrement mis à jour pour prendre en compte à la fois les évolutions des outils numériques et les nouvelles données acquises sur le site. La dernière mise à jour du modèle a été finalisée pour le dossier de réexamen de sûreté du centre remis à l’ASN en avril 2019 et en cours d’instruction.

« L’objectif du modèle hydrogéologique est de représenter un milieu naturel très complexe, souligne Sandra Jenni.
Pour améliorer ce modèle, on compare les données observées avec celles obtenues via la simulation. Les écarts constatés sont liés à ce qui se passe au niveau très local des variabilités de la roche, sans remettre en cause la compréhension générale des écoulements, à la base de la démonstration de sûreté du centre. C’est un ajustement permanent, qui nous permet d’affiner le modèle au fur et à mesure et de rendre notre démonstration toujours plus robuste. »

Un processus d’amélioration continue, qui se nourrit aussi des échanges réguliers avec le voisin Orano La Hague, qui étudie le même milieu pour ses études de sûreté, mais aussi des remarques des instances d’évaluation et de contrôle. « Autant d’éléments qui viennent enrichir notre expertise… et peuvent profiter aux autres centres de stockage, en termes d’outils et de méthodes, même si les contextes et les phénomènes observés sont très différents d’un site à l’autre ».

 

 

Le tritium, un élément particulièrement surveillé

Du tritium continue d’être détecté dans les eaux souterraines et les ruisseaux aux alentours du centre. Il provient principalement d’un incident survenu en 1976 sur le CSM, lorsque des colis contenant de grandes quantités de tritium stockés sur le site se sont retrouvés en contact avec de l’eau. Même si la plupart de ces colis ont été repris et réexpédiés chez leur producteur, leur présence a pollué une zone sous le CSM. Lorsque le niveau de la nappe phréatique monte, celle-ci entre en contact avec la zone contaminée, favorisant ainsi la migration du tritium, ce qui explique les principales variations saisonnières des mesures de tritium effectuées dans les ruisseaux aux alentours du centre. Un phénomène identifié et scrupuleusement suivi depuis des années par l’Andra.

Le tritium est un élément dont la période radioactive est d’environ 12 ans. Cela signifie qu’il lui faut environ 120 ans pour quasiment disparaître par décroissance radioactive. Aujourd’hui, les résultats de la surveillance sont cohérents avec les prévisions : la baisse du niveau de tritium se poursuit. Et les niveaux mesurés ne présentent aucun danger pour l’homme et pour l’environnement.